Henri Vernes a souvent eu des mots assez durs envers André Gérard et celui-ci ne s’est apparemment pas toujours montré d’une parfaite probité avec les auteurs qu’il éditait. Néanmoins, il reste dans l’histoire de l’édition comme un formidable éditeur, un pionnier au nez fin et un commerçant visionnaire. Associé à Jean-Jacques Schellens, ils furent les inventeurs de nombreuses formules éditoriales inédites dont la plus célèbre reste certainement aujourd’hui la collection « Marabout junior ». Cette collection, destinée aux jeunes adolescents alors en soif de divertissement au sortir de la Seconde Guerre mondiale, rencontrera un succès immédiat dès les premières livraisons en 1953. D’abord centrés sur de grandes figures historiques et sportives, Gérard et Schellens planchent rapidement sur la création d’un héros qui incarnerait la collection. Bob Morane est, dès ses débuts, investi d’une mission commerciale et publicitaire. Le pari fut, comme on le sait, gagné très rapidement. Mais André Gérard sait que la flamme doit être entretenue par une publicité régulière au risque de la voir s’éteindre de manière précoce.

En plus des tournées promotionnelles de son auteur, Bob Morane investit progressivement tous les supports médiatiques à la mode. Il y a d’abord la bande dessinée, dès les années 1960, parues en prépublication dans Femmes d’aujourd’hui et Pilote avant de sortir en album. Le succès est au rendez-vous et Henri Vernes sera crédité au scénario de près de 90 albums jusqu’en 2012, date à laquelle les éditions du Lombard décident d’arrêter la série historique alors assurée par le dessinateur Coria.

La radio s’intéresse également au commandant et plusieurs mises en scène sonores seront produites pour les ondes.

Dès 1960, un film est mis en chantier. Projetée une fois en 1961 à Bruxelles, la seule copie connue du film aurait brûlé lors de l’incendie des locaux de la société de production Belgavidéo, si bien qu’il reste peu de traces de cette première (et restée unique) adaptation de Bob Morane pour le grand écran.

Deux ans plus tard, une série télévisée de 24 films est produite par l’ORTF et diffusée à partir de 1965. Réalisée avec des moyens limités, elle ne semble pas toujours à la hauteur de l’imaginaire développé par Henri Vernes. Elle reste néanmoins chère au cœur de nombreux fans ayant découvert grâce à elle, un Bob Morane en chair et en os interprété avec conviction par le jeune acteur Claude Titre.

Toutes ces productions, émaillant les années 1960-1970, correspondent aux années fastes de Bob Morane. Si le fameux titre d’Indochine, L’aventurier, lui a offert une publicité à hauteur du succès du tube, on assiste depuis plusieurs années à une inévitable érosion du succès du personnage qui existe aujourd’hui principalement par la nostalgie des amateurs de la licence.

Malgré les quelques tentatives plus récentes de faire revivre le héros, comme une série de jeux vidéo dans les années 1980 et une honnête série animée produite à la fin des années 1990, le succès n’est pas au rendez-vous, comme en témoigne d’ailleurs le projet d’adaptation au cinéma porté depuis près de 20 ans par le réalisateur Christopher Gans et toujours à l’état de scénario.

Si la série a été transposée dans la plupart des médias, avec un succès fatalement variable, c’est en bande dessinée que Bob Morane a connu ses adaptations les plus nombreuses et les plus plébiscitées. La première BD mettant en scène le commandant ne se fait d’ailleurs guère attendre puisqu’elle apparaît dans les pages du magazine Femmes d’aujourd’hui dès la fin des années 1950.

C’est à Dino Attanasio, alors principal auteur des illustrations intérieures des romans Bob Morane, qu’est confié le dessin de cette première adaptation. Sur un scénario original d’Henri Vernes, L’Oiseau de feu paraît à partir du 14 mai 1959. Fidèle à l’ambiance de la série, il met en scène Bob, Bill et le professeur Clairembart dans une aventure mêlant technologie futuriste et univers exotique. Les planches, reprises dans le magazine Bayard, sont publiées en album en 1960 par Marabout, dont c’est la première incursion dans l’édition BD. Le dessinateur italien signe encore quatre autres titres. Victime du succès de sa série Signor Spaghetti, il doit laisser la main à un autre dessinateur : Gérald Forton.

Contrairement à Attanasio, lorsque Forton reprend la série en 1962, il a déjà pour lui une belle expérience d’auteur de bande dessinée. Elle lui est bien utile pour produire les deux planches par semaine demandées par le magazine. Il signe ainsi 14 albums du commandant en 5 ans. Cette aventure, partie pour durer, s’arrête pourtant brutalement. Alors qu’il lui reste deux planches à dessiner pour terminer Les loups sont sur la piste, Forton quitte la Belgique pour la France où il part pour élever des chevaux. Suite à un différend avec les éditeurs de Femme d’aujourd’hui qui refusent de lui accorder quelques semaines de pause pour assurer son déménagement, il abandonne le commandant du jour au lendemain. Un successeur est rapidement trouvé, il s’agit d’un certain William Vance.

Lorsqu’il reprend Bob Morane, Vance n’est pas encore le dessinateur reconnu qu’il est aujourd’hui. Il a bien pour lui quelques années d’expérience dans la bande dessinée mais ses grandes séries, Bruno Brazil et surtout XIII, n’existent pas encore. Contacté en urgence en juin 1967 par les éditeurs de Femmes d’aujourd’hui, il doit réaliser en un temps record les deux dernières planches de la dernière aventure de Bob Morane laissées en souffrance par Forton. Le jeune dessinateur donne à ce point satisfaction qu’il est choisi dans la foulée pour assurer la suite de la série. Il réalise 18 épisodes sur les 11 années que dure sa collaboration avec Henri Vernes. Un partenariat particulièrement efficace puisque Vernes finit par confier la quasi totalité du travail d’adaptation à Vance, l’écrivain ne lui confiant parfois qu’un synopsis de quelques pages adapté d’épisodes déjà parus en roman. Bien qu’il fasse évoluer progressivement le style de la bande dessinée, il convenait de ne pas bousculer les lecteurs. Son dessin, inimitable, s’est imposé progressivement et a offert à Morane certaines des plus belles planches de sa carrière.

Alors que Vance a l’opportunité de développer, pour le journal Tintin, sa nouvelle série Bruce J. Hawker, il décide d’abandonner Bob Morane et propose de confier la suite à son assistant, et beau-frère, Coria. Après un essai prometteur, celui-ci reprend la série. Un travail qui l’occupera à plein temps durant 33 ans. Il réalise ainsi près de 40 albums jusqu’à l’arrêt de la série, faute de ventes suffisantes, en 2012.

Cet arrêt ne signe pas la fin de Bob Morane en bande dessinée. Trois ans plus tard, en 2015, le reboot de la série sort en librairie : Bob Morane Renaissance. À sa tête se trouve une nouvelle équipe constituée de deux scénaristes, Luc Brunschwig et Aurélien Ducoudray, et d’un dessinateur, Dimitri Armand. Alors qu’Henri Vernes avait accueilli ce projet avec enthousiasme, le résultat n’est pas à la hauteur de ses attentes et la bande dessinée, trop éloignée du matériau de base, ne le convainc pas. Malgré de bonnes ventes, la série est annulée après seulement deux albums.

Un échec qui n’empêche pas la mise en place d’une nouvelle série aux éditions Soleil, sous l’égide de Christophe Bec. Celui-ci concrétise ainsi un projet de près de 10 ans qui avait précédemment été refusé aux éditions du Lombard. Aidé au scénario par Éric Corbeyran et au dessin par Paollo Grella, le premier album sortira en 2021 et promet de renouer avec l’esprit aventureux des romans.

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